Petit rappel : la démocratie est le régime
politique dans lequel le peuple est souverain. Selon la célèbre formule
d'Abraham Lincoln (16e président des États-Unis de 1860 à 1865), la démocratie
est « le gouvernement du peuple, par le peuple, pour le peuple », c'est l'une
des définitions canoniques couramment reprises, ainsi qu'en témoigne, par son
introduction, la Constitution de 1958 de la Cinquième République française.
Aujourd’hui nous naviguons sur le ruisseau de la démocratie indirecte
dîtes démocratie représentative. Comme expliqué nous élisons les représentants du peuple, pour le
peuple, et par conséquent nous leur conférons l’intégralité de notre pouvoir
politique. Un simple bulletin nous défait de ce pouvoir pas plus épais que le
papier qui le compose. De plus, durant son mandant, l’élu ne fera qu’exécuter
les idées de son parti. Ainsi vous avez voté pour des idées qui ne sont pas
vraiment les vôtres…
Notre éthique n’est
pas une critique de la démocratie représentative ni un jugement de ses valeurs
mais elle considère que le citoyen est plus qu’un bulletin de vote et que ses
idées ne sont que peu représentées. Comme vous le découvrirez dans cet essai il
ne s’agit d’inventer une nouvelle forme de démocratie politique, je n’en ai ni
le talent ni les connaissances mais d’évoquer une démocratie interagissant au
sein d’une économie commerciale. Ainsi il ne s’agira pas de voter des lois
comme dans un parlement mais de voter pour des projets dit
« fondateurs » regroupés au sein d’une plateforme. Pour ce faire nous
avons besoin de vrais citoyens, de gens responsables et volontaires, courtois,
possédant les qualités citées dans l’éthique de l’avenir économique telles que
la sagesse et l’envie de fonder sereinement un monde plus juste.
Tocqueville voit la
démocratie tout autant comme un régime politique que comme un régime « éthique
», une manière d’être, de penser et de se comporter. C’est aussi se donner le goût
de « soi » et lui permettre de concevoir l’exercice de la citoyenneté comme un
attribut essentiel de sa personnalité.
Notre éthique de l’avenir
démocratique se conçoit comme une façon de faire le lien entre l’économie et la
démocratie, l’Homo oeconomicus sapis endossant l’habit d’Homo democraticus. Et
un tel habit se porte large, n’admet pas le rapiéçage individualiste, permet de
dépasser sa propre condition, d’envisager l’infini au-delà de sa finitude, de tracer
le chemin qui le mène à la postérité, au panthéon de la reconnaissance
désintéressée. Mais ce chemin ne peut se faire seul. La démocratie étant par
définition « le pouvoir du peuple » il s’agira pour une vraie
démocratie de redonner voix aux sans voix. Ainsi, de par cet exercice, l’Homo
democraticus développera une autonomie confisquée par son extinction…de voix.
Pour
Amartya Sen, la conception de la démocratie avancée dépend de la capacité ou
liberté réelle de chaque membre de la collectivité d’exprimer son point de vue
et de le faire entendre dans le cadre de la discussion démocratique. Ainsi
guérit de son extinction de voix l’organisation démocratique qui en jaillira
deviendra elle-même une condition d’efficacité économique. Durkheim prône d’ailleurs
la mise en place de "groupes secondaires" (territoriaux ou
corporatifs) qui agiraient en tant qu'intermédiaires entre la population et
l'État de manière à empêcher à la multitude d'imposer sa volonté à l'État tout
en la protégeant contre l'attitude oppressive de ce dernier. Il s'agirait
finalement d’établir le plus de communication possible entre l'État et la
société civile afin de s'assurer que chacun des groupes qui la compose soit
reconnu et représenté.
Loin de s'opposer aux
fondements de la représentation, la démocratie économique se présente comme une
forme complémentaire de partage des décisions, conservant l'importance de l'élu
mais associant plus largement et plus directement les citoyens à l'élaboration
de l'intérêt général. Pour parvenir à un tel résultat le citoyen sera confronté
au développement de ses capacités et de son autonomie afin de donner plus de
force à la voix de la raison.
La démocratie
économique étant « c’est que pouvons-nous faire ensemble » afin
de revitaliser la citoyenneté, elle pourrait susciter des vocations, des
volontés sous-employées, orienter les citoyens vers la recherche d’informations
afin de rendre concret des décisions sur des problèmes eux-mêmes concrets, tout
cela dans un esprit de solidarité, de responsabilité. Cette façon de faire
pourrait régénérer le civisme par le sentiment de se réapproprier la société
dans laquelle chacun aurait participé. Lao Tseu disait que c’est la justesse, la
justice, la cohérence, l’authenticité qui fait la légitimité d’une société. Les
individus n’aspirent à rien d’autre que de s’engager dans des activités qui ont
du sens s’ils savent qu’en retour qu’ils ne seront pas exploités ou manipulés à
des fins d’intérêts personnels. Même s'il s’agit essentiellement d’un espoir
placé dans ce que nous sommes, un espoir au nom duquel on peut penser que si
les structures sociales se transforment suffisamment, ces aspects de la nature
humaine auront la possibilité de se manifester sur le long terme. »
Comme
je l’ai aussi précisé dans l’éthique de l’Avenir économique celle de la
démocratie se fonde sur la parole juste, le dialogue juste, c’est avoir les idées
du Vrai, de l’authentique. Selon Platon il faut une certaine sagesse et un
certain savoir – plus précisément, avoir accédé à la connaissance des Idées du
Vrai, du Juste et du Bien – pour participer à l’édification de l’intérêt
général. Il précise : « les simples citoyens, ignorant de la Vérité
et réfléchissant surtout en fonction de leurs intérêts particuliers, ne
sauraient diriger à bien la cité, et par conséquent le pouvoir du peuple ne
peut que conduire celle-ci vers la corruption ». Comme je l’ai précisé au
chapitre « la démocratie actuelle » la question de la corruption
n’est pas une question du corps politique ou électoral mais ressort d’une
question de personnalité. De plus la corruption n’est possible que par les
mouvements opaques du moyen d’échange Argent. Dans le cadre de l’Avenir
démocratique, au-delà de parler Vrai, il s’agira de ne pas se cacher derrière
des pseudos et autres avatars mais bien d’affirmer sa véritable identité afin
d’appuyer chacune de ses déclarations et d’en assumer la responsabilité. Ainsi,
ce caractère « sans concession » de la transparence sera le véritable garant de la « qualité »
démocratique au sein de l’EDA. La ruse, la langue de bois, le parler faux pour
guise de parler vrai, le mensonge pour guise de vérité, la revendication de la
transparence pour mieux transformer en dupes les citoyens devront être bannis.
Comme citée dans l’éthique de l’avenir
économique la démocratie se soit d’être un lieu où les citoyens engagés dans la
politique d’un monde meilleur échangeraient sur des sujets d’intérêts généraux
et ainsi s’éveilleraient à la conscience du bien commun. Reliés ils créeraient les conditions de
l’émancipation personnelle et celles de la relation à l’autre. Aristote
reconnaît à la démocratie un certain nombre d'avantages, notamment celui
reposant sur l'idée que le rassemblement d'un grand nombre d'individus permet
en quelque-sorte d'additionner leur qualités (« leur part d’excellence et de
prudence », estimant que quand bien même « chacun y sera plus mauvais juge que
les spécialistes, tous réunis soit seront meilleurs, soit ne seront pas plus
mauvais ». Il ajoute à cela l'idée que le spécialiste n'est pas toujours le
mieux placé pour juger d'un autre spécialiste, en donnant notamment l'exemple
du festin, ou c'est le point de vue du convive et non du cuisinier qui
conviendra pour juger de sa qualité.
La réunification de
toutes les forces sans distinction de race, de religion, de classes sociales, permettrait
de taire le soi au profit du Nous, de l’ensemble et concevoir ce que doit être
une société hors de tous points de vues oligarchiques. A son époque Alexis de
Tocqueville considère l’éthique de la démocratie comme principalement
caractérisée par la tendance à l'égalisation des conditions, celle-ci devant
être comprise non pas tant comme une égalité réelle et stricte des conditions
économiques et sociales, mais plutôt comme renvoyant à l'abolition des
privilèges aristocratiques liés à la naissance et à la diminution des écarts de
fortune, à l'égalité des droits, l'instabilité de la hiérarchie sociale, à la
possibilité pour tous les citoyens de participer au pouvoir politique, ou
encore à un nivellement culturel par la généralisation de l'accès à la culture
et à l'éducation. La démocratie, et donc le mouvement historique vers cette
égalité des conditions, est considérée par Tocqueville comme « universelle » et
inéluctable, et à ce titre, comme « providentielle ».
Pour
autant, il croit pouvoir y déceler une certaine tendance contre laquelle il
cherche à mettre en garde : le désir d'égalité qui imprègne les individus
vivant en démocratie conduirait à consentir à une restriction de la liberté, et
de manière générale à perdre le goût et l'esprit de la liberté. L'individu
tendrait ainsi à se soumettre au groupe par l'effet de la centralisation des
pouvoirs, l'essor du bien-être matériel ou encore le nivellement des
hiérarchies sociales – la démocratie produisant ainsi un conformisme des
opinions. Ainsi, Tocqueville craint une tyrannie de la majorité, l'individu
tendant à abdiquer sa volonté personnelle au profit de l’État, et la majorité
pouvant opprimer la minorité. Néanmoins, il s'agit là de risques qu'il serait
possible de prévenir : l'égalité pourrait s'associer à la liberté grâce à une
certaine décentralisation des pouvoirs administratifs, en d'autres termes par
l'existence d'institutions intermédiaires (associations, town-meeting) par
lesquelles les individus, pouvant directement participer à certaines décisions,
seraient responsabilisés et entretiendraient ainsi un esprit de liberté. Pour
conclure, la participation de chacun aux décisions est synonyme d’amélioration
sans cesse et de réalisation de Soi. C’est exactement ce qui sera proposé dans
le chapitre consacré aux outils de l’EDA ! Et, par ce biais, parvenir à la
(re)naissance de soi dans une société capitaliste où la norme est de réussir sa
vie sans condition de réalisation et qui pour la plupart des individus équivaut
au fracassement de leur personnalité, séparant le sujet de son être réel, de
son essence, de sa nature. Car, selon Cynthia Fleury, c’est une terrible chose
de voir que la démocratie génère encore et toujours de l’amertume et de la
haine de soi car l’état ne brise pas les volontés mais il les amollit, les plie,
les dirige, les maintient dans l’infantilisme, l’empêchant d’atteindre un
équilibre entre le souci de soi et celui des autres.
Pourtant, sur un plan
anthropologique, l’homme veut être reconnu non comme un bovidé, un ovidé ou un
esclave mais bien comme un être humain. Cela démontre pour le mieux
l’irresponsabilité et l’incapacité des Etats, mais aussi leur manque de volonté
pour améliorer la condition des individus. Déplacer le centre de gravité du
politique de l’Etat vers une pluralité d’acteurs, et la transformation qui en
découle sont des conditions de production de la légitimité. Ainsi reconnu l’individu
sera en mesure d’assumer ses actes, de prendre en charge sa parcelle de
responsabilité qu’il avait auparavant laissé à l’état souverain. Du dilemme « je
ne peux être libre que si je ne suis pas déterminé » ou « je ne suis libre que
si je suis déterminé », Lévinas offre l’alternative « Je suis libre si je suis
responsable ». Il y ajoute l’idée qu’étant infiniment responsable, chacun est
condamné à une infinie liberté. Dans le temps de la relation au sein d’une EDA
seul peut s’articuler la fragilité du rapport entre responsabilité et liberté.
Entre moi et autrui. Autrui et moi. Cet « Après vous, Monsieur » qui scande la
pensée de Lévinas fait de la politesse le début de l’humain et la
responsabilité plus haute dont il nous parle est une responsabilité solidaire
où l’on ne serait pas tenté, pour se déresponsabiliser, de dire « ce n’est pas
moi », où la culpabilité ne serait pas le contraire de l’innocence, mais le
sens aigu du retard que l’on prend sur le futur à faire lorsque l’on se
contente de jouir de son présent…
Notre éthique
s’attachera donc à la responsabilité des propos des individus, à leur manière
d’interagir entre eux, à ce respect, à ce vivre ensemble qui sera dans un
premier virtuel, centralisé au sein de la Plateforme des Projets-Fondateurs
démocratiques. Dans ce contexte les individus doivent reconnaître qu’il existe
des points de vue différents du leur. Sans travail psychologique, les
sentiments, les émotions peuvent échapper à tout contrôle, les idées de
persécution, les accusations prendre le dessus. Le respect nécessite une forme
de retenue. La retenue est une forme d’équilibre, un point d’équilibre, aussi
éloigné de l’outrecuidance que du mépris de soi, et, parce qu’elle est cette
équitable mesure, on peut à partir d’elle raisonner dans l’universel, instaurer
le principe pratique d’un respect mutuel généralisé, un respect en tout état de
cause absolument obligatoire pour mener à bien l’édification d’une société plus
juste. Et du respect des autres découle le respect de soi car placer quelqu’un
en deçà de la citoyenneté, c’est bloquer le processus d’une citoyenneté
positive et réussie. En revanche dès lors qu’on peut construire une image de
soi qui ne soit pas d’emblée pilonnée par les stratégies de vulgarisation par
autrui, le respect de soi devient possible.
Notre éthique de la
démocratie institutionnalisera donc le respect en constituant des lignes
directrices, un « code de bonne conduite », des règles. Le respect demande une
lutte interne pour reconnaître la personne humaine chez les autres et en
nous-mêmes. Ainsi, ceux qui n’ont rien à quoi se raccrocher devant l’échec de
leur vie et qui en perdent toute estime pour eux-mêmes pourraient renaître en
interagissant avec des individus respectueux.
Notre éthique occupera
ce terrain social déserté et devra enraciner le respect de soi dans une notion
nouvelle, celle d’une citoyenneté ouverte, progressiste, utile, tirant un trait
sur le tortueux passé. Pour parvenir à un tel changement de notre condition il
est nécessaire de réformer notre vision des choses. Mais si la Révolution semble s’imposer de
façon extérieure, comme si l’évènement avait raison des hommes (voire presque
de leur « raison »), la Réforme, elle, ne s’impose pas mais se construit
délibérément : c’est la « raison » des hommes qui fait la « Réforme », quand la
Révolution, elle, convoque d’abord la passion. En somme, une raison « froide »
plutôt qu’une raison « ardente », dixit Cynthia Fleury.
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C'est là que le bât blesse… La responsabilité infinie et la liberté infinie ne sont que des illusions infinies, car il n'y a pas plus chez nous de liberté que de beurre dans les aquariums. Chacun d'entre nous vit avec sa fausse représentation de l'humanité et ce n'est pas parce que l'Homo se dit sapiens qu'il l'est vraiment. Il n'y a qu'à voir le nombre d'individus bêtes non pas à bouffer du foin, mais à payer volontairement pour s'offrir le plaisir de respirer des fumées toxiques ! Vous avez dit "sapiens" ? Tout ça, grâce à la publicité. JR
RépondreSupprimerJe suis d'accord avec toi Jacques mais je ne pense pas qu'il y ait une bonne ou une fausse représentation de l'humanité, tout du moins de mon point de vue. Je me base sur cette unique vérité : nous avons tous les mêmes besoins primaires et en priver certains conduit à un monde dangereux. La privation est fille de l'irresponsabilité puisqu'elle force les individus à survivre par tous les moyens. La publicité est un problème de riche même si, je le conçois entièrement, s'incruste dans notre inconscient d'occidentaux nantis. Nous pourrions parler d'éducation et de génétique mais ces sujets sont trop vaste pour en tirer une conclusion générale. Merci en tout cas de t'être palucher cette page ! Bien à toi.
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